18 avril 2009

Pariscope

Quand je me promène dans les rues parisiennes, j'ai l'impression d'avoir été projetée dans un film muet des années 20 : des mouvements rapides et saccadés dans une ambiance monochromatique.

Comme une enfant devant un livre de coloriages, j'ai cette folle envie de sortir mes crayons de couleurs bien taillés et de mettre au gré de mon humeur du rouge, du vert, du bleu… Des couleurs vives et joyeuses qui recouvriraient les nuances grisâtres salissant ces vieux murs chargés d'histoire et ces faces tristes et minées qui ne sourient que le week-end. Et pourtant, tant d'origines se côtoient, tant de couleurs de peau mais ces couleurs là, on s'en passerait bien…

Dans mes livres d'Histoire, la France était tellement colorée. Tout n'était que profusion de rouge, de bleu et de blanc immaculé. Des drapeaux qu'on levait fièrement, des couleurs qu'on portait dignement, des guerres teintées d'un sang pourpre et tellement de courage, d'ardeur et de révolutionnarisme. À croire que les cinq passages en machine républicaine lui ont fait perdre toutes ses couleurs. La Monarchie lui allait mieux…

Les vrais couleurs, on ne les retrouve que dans les panneaux publicitaires qui vous lobotomisent l'esprit... Cette paire de chaussures qui fait dix fois votre taille et vous supplie de l'acheter en vous promettant un effet bottes de sept lieues, ces seins au bonnet vertigineux dans lesquels tout homme voudrait se perdre, débordant d'un soutien gorge en dentelle que les femmes regardent jalousement du coin de l'oeil. Des messages subliminaux qui vous harcèlent et vous agressent, des attrape-nigauds ou plus simplement des attrape français, mais dans ce viol psychologique, on vous sodomise en vous tartinant le cul de vaseline, c'est tellement bon de se faire enculer en douceur…

J'erre et je respire à demi poumons cet air puant, juste de quoi éviter de suffoquer. J'essaie de filtrer comme je peux cette atmosphère fétide. Ici, on porte son nez comme un fardeau, un sens dont on se passerait bien volontiers. Paris, c'est l'odeur nauséabonde des clochards qui passent des mois sans se laver, c'est l'odeur de merde des culs torchés au Moltonel, c'est l'odeur de pisse sur les caniveaux et c'est surtout l'odeur des crottes de chiens qui vous suivent toute la journée avant de vous rendre compte que vous en avez un échantillon sous votre chaussure… et parfois, c'est un mélange détonant de tout ça !

Au milieu de ces automates, de ces thermos hermétiques et sourds sauf à l'écoute de leurs baladeurs, mes névroses ne font qu'empirer. Je deviens allergique au démêlage des fils d'écouteurs, ces tortellinis devenus prolongement naturel du canal auditif. Recouvrir l'orifice de ses oreilles avec des écouteurs relève désormais des bonnes mœurs : on aurait plus honte à montrer ses oreilles nues que ses fesses.

Je ne supporte plus de voir les gens accomplir ces mêmes gestes, répétés dans un conditionnement pavlovien : défaire les nœuds, mettre PLAY et s'isoler du monde, des bruit métalliques du métro pour faire paraître le temps moins long.

Le temps, parlons-en… Une société mathématisée où même les retards sont calculés. On vous avise, on vous avertit, on vous informe. En fin de compte, n'est-ce pas là la source même des désespérances de tout un peuple? Je regrette cette époque où je ne savais jamais combien de temps je mettrais pour aller quelque part. Je regrette ce temps où le trajet n'était pas fonction de la distance, de la vitesse ou du temps mais des chantiers, des accidents, des feux rouges, de la circulation, des transports en commun d'une médiocrité honteuse…

Alors, je deviens une râleuse parmi d'autres qui s'énerve pour un retard de deux minutes, car ces cent vingt secondes, je les décompte.

Elle est bien lointaine cette époque où je pouvais attendre le bus pendant une heure et où pourtant le temps me paraissait moins long car à chaque minute, je pensais que ce serait la dernière. A force de tout savoir, on ne laisse plus aucune place à l'espoir. Je veux être ignorante pour pouvoir espérer.

La mathématisation a même contaminé mon intimité. Désormais, aller aux toilettes, ça se programme. Une pipi, ça se contient jusqu'à avoir les conditions idéales. J'ai même oublié le sens de l'envie pressante.

J'essaie de m'habituer comme je peux à la vie ici, je me familiarise avec les expressions parisiennes, du « ça me saoule » à celle, typiquement printanière « on se fait une terrasse » en passant par la fameuse « c'est abuser quoi ! », avec bien sûr toute la gestuelle affectée et l'intonation « à la fin Ennnn ».

Décidemment, trop de choses me déplaisent à Paris...

1 commentaires:

lady B a dit…

"Je veux être ignorante pour pouvoir espérer"

Une bien belle phrase! (vraiment)
Le fait-est, on ne souffre pas de ce que l'on ignore.