18 avril 2009

Folie's

Mon premier contact avec la folie remonte à ma plus petite enfance.
Pour moi, il y avait alors 4 catégories de personnes: les normaux-totalement dénués d'intérêt-, les monstres de la nuit-affreuses créatures sombres et malveillantes-, les pervers sexuels-passage abrupte dans un monde de brutes-et les fous.

Les fous , j'en ai connu 3 dans ma vie. Le premier était un homme que j'avais surpris à courir tout nu dans la rue. Il s'était évadé d'un hôpital psychiatrique à ce qu'on m'avait dit. J'avais trouvé cette image surréaliste d'un homme courant nu comme un ver, un apollon fuyant un monde auquel il ne pensait appartenir et dans lequel pourtant on le condamnait à vivre. Il n' y avait rien de pervers dans cette image, je n'étais ni choquée, ni effrayée. Sa nudité ne m'avait pas traumatisée, tout comme une sculpture, je la voyait d'un oeil artistique. Ce n'était pas un monstre de la nuit, encore moins un pervers sexuel et je ne pouvais résolument pas le traiter de « normal »; pour moi, c'était donc un fou.

Il y avait ensuite eu cet homme au turban, dont les enfants de mon quartier guettaient impatiemment le passage, cachés derrière un arbre ou un mur. On le regardait comme une bête curieuse, on se moquait de lui, parfois même, on lui jetait des pierres de manière très amicale; ce à quoi il répondait en proférant des injures qu'on ne cherchait pas vraiment à comprendre car c'était certainement le langage des fous. C'était notre distraction, notre mascotte, probablement la seule personne que l'on traitait comme un enfant: c'était notre vengeance enfantine contre le monde des adultes.

Mon troisième fou était un homme obèse qui passait ses journées à regarder défiler les voitures dans un carrefour très fréquenté avec une bouteille de coca sous le bras. Il avait quelque chose de péniblement touchant et je ne l'aurais probablement pas mis dans la catégorie « fou » si je ne l'avais surpris quelques fois au milieu des voitures faisant des gestes « diagonaux ». Rien de pervers, rien d'effrayant, rien de normal. Evidemment, il devait être fou. Ces personnages représentaient jusqu'à maintenant pour moi la définition même de la folie: comportement inhabituel, inoffensif et burlesque.


Tout comme le fou des échecs et ses déplacements diagonaux, le fou du roi et ses calembours, le fou, imbécile heureux portant un entonnoir sur la tête, nos fous sont sympathiques et rares. On ne les côtoie pas, on les surprend parfois lorsqu'ils ne sont pas cloitrés dans des asiles. Celui qui peut prétendre avoir vu un fou le raconte sur le ton de la fierté comme s'il avait vu une larve du cordélugastre annelé. Chez nous, on ne devient pas fou, on naît fou, tout comme d'autres naissent blondes ou d'autres encore les pieds plats.


A Paris, la folie n'es pas innée, elle semble naître d'une frustration, se développer et se propager en vous comme une tumeur. La folie est assise à coté de vous dans le métro, vous l'applaudissez et la regardez avec admiration quelques fois sur une place publique, vous la condamnez violemment d'autres fois, il arrive même qu'elle vous laisse indifférent: fesses à l'air, look post-moderne, ça court les rues.
La folie n'est qu'extravagance, exhibition, expression d'une âme emprisonnée dans un corps trop étroit. Elle est aussi révolte contre un consumérisme exacerbé. Le fou est cet homme chantant à tue-tête l'Hymne à l'Amour de Piaf, c'est ce cracheur de feu sorti tout droit de l'imagination de Tolkien, c'est ce jeune ado à la chevelure mi-jaune mi-violet coiffé au sperme de Buffle, c'est cette vieille de 82 ans maquillée comme un camion volé aguichant les hommes dans un quartier de Strasbourg-St-Denis, c'est cette jeune fille gothique perchée sur ses aéroglisseurs, c'est ce type, un Gérard habillé d'un marcel et aux tatouages plus impressionnants que les peintures rupestres des grottes de Lascaux.
Le fou c'est aussi moi chantant d'une manière affectée un air d'opéra lyrique sous un pont près de la Seine.


Paris rend fou ou plutôt Paris sait faire ressortir la folie qui est en chacun de nous. Paris est une toile sur laquelle vous vous laissez aller à vos peintures psychédéliques, Paris est cette main qui vous retire le balai du cul, Paris vous désinhibe, Paris vous inspire, Paris redonne à la folie toute sa dignité, Paris rend la folie Folie, elle la majusculise.

Voilà pourquoi tout le monde à Paris semble fou.

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