18 avril 2009

Les femmes FRIGIDAIRE

J’envie ces femmes parfaites empestant le bonheur et la joie de vivre sorties tout droit d’une pub pour machine à coudre SINGER des années 50. Ces femmes toutes en couleur au sourire niais, à la mise en plis parfaite et aux ongles fraichement manucurés de vernis rouge, portant un foulard en soie autour du cou, une twin-set couleur pastel et une jupe en laine leur arrivant aux genoux.


Ces maîtresses de maison semblent avoir fait des études pour ça, elles accomplissent les choses avec tant de facilité, elles vous sortent du four un cake parfait, sans bosses, sans trace de cramé, en utilisant un petit gant assorti à leur tablier de cuisine et aux autres ustensiles.


Ces Bree Van De Kamp allient aussi bien vie de famille que vie professionnelle. Elles se lèvent tôt et ne font aucune mine de dégoût en entendant le réveil, elles rentrent chez elles directement après le travail, un travail où elles auront eu à être fermes, décisives et responsables. Elles enlèvent rapidement leur chaussures à talons et leur tailleur et enfilent leur costume de super héroïne: Une robe de chambre à grosses fleurs qui leur permettrait certainement de voler si elles couraient mais ces femmes ne courent jamais, elles ne perdent jamais leurs moyens, elles semblent maîtriser tous les éléments.


Ces femmes n’ont parfois même pas prévu ce qu’elles allaient cuisiner. Elles regardent ce qu’elles ont en stock : une courgette, une escalope de dinde, des pommes de terre et par une manœuvre à la MacGyver qui arrivait, rappelons-le, à fabriquer une fusée avec un stylo et un trombone, elles vous sortent une escalope de dinde panée sur son lit de sauce épicée aux oignons accompagnée de légumes sautés. Ces femmes maîtrisent parfaitement l’art du recyclage ; chez elles rien ne se perd, tout se crée ou se transforme.


Moi, je suis loin de tout ça. Je suis une femme d’extérieur. Je ne sais pas cuisiner, je suis une cynique qui se moque des autres en cachant au fond de sa mémoire que la dernière fois qu’elle a voulu faire une omelette, ça ressemblait plutôt à un dégueulis d’œufs brouillés.


Pourtant, cuisiner ça commence toujours bien : « Fais ça comme ça, ajoute ça à ça, rajoute aussi ça, coupe ça en rondelle, mélange le au reste »…du sel, du poivre et c’est bon non ? Ben non ! Car il ya les fameux « pendant que ça cuit, fais ça et ça, coupe aussi ça, rajoute le à l’autre là-bas quand il aura pris une couleur comme ça ou pire quand il aura cette consistance là » mais ces femmes ont un viscosimètre intégré et réussissent ce qui pour vous devient une énigme du père Fourras. Pourquoi ne pas tout simplement mettre tout dans un grand bol et mélanger puisque ça va inévitablement finir comme ça !


Quand je vois dans quel état je rentre le soir après le travail, j’imagine mes futurs enfants gazouillant comme des oisillons affamés et moi leur disant « désolée les enfants, je suis trop fatiguée, allez vous nourrir tous seuls ». Mes gamins auront des mines de déterrés, une silhouette squelettique, leur regard implorant ma pitié comme les petits africains des pubs pour l’UNICEF.

J’aimerais tellement ressembler à ces femmes qui savent tout, j’aimerais faire plaisir aux autres en leur mijotant des plats concoctés avec amour, j’aimerais les voir ingurgiter goulument ce que j’ai mis des heures à préparer sans que cela me donne l’irrésistible envie de les frapper avec un pavé de Steak. J’aimerais trouver naturel de bien cuisiner, de prendre soin de ma maison. J’aimerais ne plus avoir à faire le ménage de manière compulsive, ne plus entasser les vêtements au fond du placard en priant qu’ils ne me tombent pas dessus à chaque fois que j’ouvre la porte. J’aimerais ne plus acheter les produits ménagers pour mon plaisir personnel parce que Mr Propre est trop viril sur la photo ou parce que canard WC est mimi comme tout. J’aimerais ne plus brûler mes plats, ne plus en inventer, j’aimerais maîtriser les programmes sur la machine à laver pour éviter que tous mes draps, mes sous vêtements et mes serviettes deviennent rose pâle, j’aimerais apprendre à les sécher correctement pour ne plus avoir cette odeur de rat mort lorsqu’ils restent humides trop longtemps. J’aimerais ne plus oublier un pull sur le radiateur et m’en rappeler en sentant une odeur de brûlé, j’aimerais savoir utiliser correctement un fer à repasser.

J’aimerais, mais je n’y arrive pas alors je continue à les envier en espérant avoir de quoi compenser.

Folie's

Mon premier contact avec la folie remonte à ma plus petite enfance.
Pour moi, il y avait alors 4 catégories de personnes: les normaux-totalement dénués d'intérêt-, les monstres de la nuit-affreuses créatures sombres et malveillantes-, les pervers sexuels-passage abrupte dans un monde de brutes-et les fous.

Les fous , j'en ai connu 3 dans ma vie. Le premier était un homme que j'avais surpris à courir tout nu dans la rue. Il s'était évadé d'un hôpital psychiatrique à ce qu'on m'avait dit. J'avais trouvé cette image surréaliste d'un homme courant nu comme un ver, un apollon fuyant un monde auquel il ne pensait appartenir et dans lequel pourtant on le condamnait à vivre. Il n' y avait rien de pervers dans cette image, je n'étais ni choquée, ni effrayée. Sa nudité ne m'avait pas traumatisée, tout comme une sculpture, je la voyait d'un oeil artistique. Ce n'était pas un monstre de la nuit, encore moins un pervers sexuel et je ne pouvais résolument pas le traiter de « normal »; pour moi, c'était donc un fou.

Il y avait ensuite eu cet homme au turban, dont les enfants de mon quartier guettaient impatiemment le passage, cachés derrière un arbre ou un mur. On le regardait comme une bête curieuse, on se moquait de lui, parfois même, on lui jetait des pierres de manière très amicale; ce à quoi il répondait en proférant des injures qu'on ne cherchait pas vraiment à comprendre car c'était certainement le langage des fous. C'était notre distraction, notre mascotte, probablement la seule personne que l'on traitait comme un enfant: c'était notre vengeance enfantine contre le monde des adultes.

Mon troisième fou était un homme obèse qui passait ses journées à regarder défiler les voitures dans un carrefour très fréquenté avec une bouteille de coca sous le bras. Il avait quelque chose de péniblement touchant et je ne l'aurais probablement pas mis dans la catégorie « fou » si je ne l'avais surpris quelques fois au milieu des voitures faisant des gestes « diagonaux ». Rien de pervers, rien d'effrayant, rien de normal. Evidemment, il devait être fou. Ces personnages représentaient jusqu'à maintenant pour moi la définition même de la folie: comportement inhabituel, inoffensif et burlesque.


Tout comme le fou des échecs et ses déplacements diagonaux, le fou du roi et ses calembours, le fou, imbécile heureux portant un entonnoir sur la tête, nos fous sont sympathiques et rares. On ne les côtoie pas, on les surprend parfois lorsqu'ils ne sont pas cloitrés dans des asiles. Celui qui peut prétendre avoir vu un fou le raconte sur le ton de la fierté comme s'il avait vu une larve du cordélugastre annelé. Chez nous, on ne devient pas fou, on naît fou, tout comme d'autres naissent blondes ou d'autres encore les pieds plats.


A Paris, la folie n'es pas innée, elle semble naître d'une frustration, se développer et se propager en vous comme une tumeur. La folie est assise à coté de vous dans le métro, vous l'applaudissez et la regardez avec admiration quelques fois sur une place publique, vous la condamnez violemment d'autres fois, il arrive même qu'elle vous laisse indifférent: fesses à l'air, look post-moderne, ça court les rues.
La folie n'est qu'extravagance, exhibition, expression d'une âme emprisonnée dans un corps trop étroit. Elle est aussi révolte contre un consumérisme exacerbé. Le fou est cet homme chantant à tue-tête l'Hymne à l'Amour de Piaf, c'est ce cracheur de feu sorti tout droit de l'imagination de Tolkien, c'est ce jeune ado à la chevelure mi-jaune mi-violet coiffé au sperme de Buffle, c'est cette vieille de 82 ans maquillée comme un camion volé aguichant les hommes dans un quartier de Strasbourg-St-Denis, c'est cette jeune fille gothique perchée sur ses aéroglisseurs, c'est ce type, un Gérard habillé d'un marcel et aux tatouages plus impressionnants que les peintures rupestres des grottes de Lascaux.
Le fou c'est aussi moi chantant d'une manière affectée un air d'opéra lyrique sous un pont près de la Seine.


Paris rend fou ou plutôt Paris sait faire ressortir la folie qui est en chacun de nous. Paris est une toile sur laquelle vous vous laissez aller à vos peintures psychédéliques, Paris est cette main qui vous retire le balai du cul, Paris vous désinhibe, Paris vous inspire, Paris redonne à la folie toute sa dignité, Paris rend la folie Folie, elle la majusculise.

Voilà pourquoi tout le monde à Paris semble fou.

Pariscope

Quand je me promène dans les rues parisiennes, j'ai l'impression d'avoir été projetée dans un film muet des années 20 : des mouvements rapides et saccadés dans une ambiance monochromatique.

Comme une enfant devant un livre de coloriages, j'ai cette folle envie de sortir mes crayons de couleurs bien taillés et de mettre au gré de mon humeur du rouge, du vert, du bleu… Des couleurs vives et joyeuses qui recouvriraient les nuances grisâtres salissant ces vieux murs chargés d'histoire et ces faces tristes et minées qui ne sourient que le week-end. Et pourtant, tant d'origines se côtoient, tant de couleurs de peau mais ces couleurs là, on s'en passerait bien…

Dans mes livres d'Histoire, la France était tellement colorée. Tout n'était que profusion de rouge, de bleu et de blanc immaculé. Des drapeaux qu'on levait fièrement, des couleurs qu'on portait dignement, des guerres teintées d'un sang pourpre et tellement de courage, d'ardeur et de révolutionnarisme. À croire que les cinq passages en machine républicaine lui ont fait perdre toutes ses couleurs. La Monarchie lui allait mieux…

Les vrais couleurs, on ne les retrouve que dans les panneaux publicitaires qui vous lobotomisent l'esprit... Cette paire de chaussures qui fait dix fois votre taille et vous supplie de l'acheter en vous promettant un effet bottes de sept lieues, ces seins au bonnet vertigineux dans lesquels tout homme voudrait se perdre, débordant d'un soutien gorge en dentelle que les femmes regardent jalousement du coin de l'oeil. Des messages subliminaux qui vous harcèlent et vous agressent, des attrape-nigauds ou plus simplement des attrape français, mais dans ce viol psychologique, on vous sodomise en vous tartinant le cul de vaseline, c'est tellement bon de se faire enculer en douceur…

J'erre et je respire à demi poumons cet air puant, juste de quoi éviter de suffoquer. J'essaie de filtrer comme je peux cette atmosphère fétide. Ici, on porte son nez comme un fardeau, un sens dont on se passerait bien volontiers. Paris, c'est l'odeur nauséabonde des clochards qui passent des mois sans se laver, c'est l'odeur de merde des culs torchés au Moltonel, c'est l'odeur de pisse sur les caniveaux et c'est surtout l'odeur des crottes de chiens qui vous suivent toute la journée avant de vous rendre compte que vous en avez un échantillon sous votre chaussure… et parfois, c'est un mélange détonant de tout ça !

Au milieu de ces automates, de ces thermos hermétiques et sourds sauf à l'écoute de leurs baladeurs, mes névroses ne font qu'empirer. Je deviens allergique au démêlage des fils d'écouteurs, ces tortellinis devenus prolongement naturel du canal auditif. Recouvrir l'orifice de ses oreilles avec des écouteurs relève désormais des bonnes mœurs : on aurait plus honte à montrer ses oreilles nues que ses fesses.

Je ne supporte plus de voir les gens accomplir ces mêmes gestes, répétés dans un conditionnement pavlovien : défaire les nœuds, mettre PLAY et s'isoler du monde, des bruit métalliques du métro pour faire paraître le temps moins long.

Le temps, parlons-en… Une société mathématisée où même les retards sont calculés. On vous avise, on vous avertit, on vous informe. En fin de compte, n'est-ce pas là la source même des désespérances de tout un peuple? Je regrette cette époque où je ne savais jamais combien de temps je mettrais pour aller quelque part. Je regrette ce temps où le trajet n'était pas fonction de la distance, de la vitesse ou du temps mais des chantiers, des accidents, des feux rouges, de la circulation, des transports en commun d'une médiocrité honteuse…

Alors, je deviens une râleuse parmi d'autres qui s'énerve pour un retard de deux minutes, car ces cent vingt secondes, je les décompte.

Elle est bien lointaine cette époque où je pouvais attendre le bus pendant une heure et où pourtant le temps me paraissait moins long car à chaque minute, je pensais que ce serait la dernière. A force de tout savoir, on ne laisse plus aucune place à l'espoir. Je veux être ignorante pour pouvoir espérer.

La mathématisation a même contaminé mon intimité. Désormais, aller aux toilettes, ça se programme. Une pipi, ça se contient jusqu'à avoir les conditions idéales. J'ai même oublié le sens de l'envie pressante.

J'essaie de m'habituer comme je peux à la vie ici, je me familiarise avec les expressions parisiennes, du « ça me saoule » à celle, typiquement printanière « on se fait une terrasse » en passant par la fameuse « c'est abuser quoi ! », avec bien sûr toute la gestuelle affectée et l'intonation « à la fin Ennnn ».

Décidemment, trop de choses me déplaisent à Paris...