28 mai 2006

Charabia politique

- « Monsieur S., nous vous écoutons. Vous avez 1 minute 30 pour nous exposer votre programme électoral».

- « Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs, bonjour.

Les fluctuations socio économiques que connaît actuellement notre pays ont pour conséquence l’impérative nécessité de mettre en place des mesures de protection visant a une restructuration sociale dans laquelle chacun de vous pourra trouver sa dignité.

La volonté farouche de sortir notre pays de la crise oblige à la prise en compte plus effective d’un plan correspondant aux exigences et aspirations de chacun.

La conjoncture actuelle de notre pays doit nous amener au choix impératif des redistributions budgétaires et à la révision du statut précaire des exclus qui doit s’intégrer à la finalisation globale d’un projet porteur d’espoirs.

Je reste fondamentalement persuadé de l’effort prioritaire qui doit être porté à répondre à vos préoccupations quotidiennes afin d’amener notre cher pays à vivre dans un avenir s’orientant vers plus de progrès et de justice.

L’effort doit être porté à la lutte contre l’aggravation des hétérogénéités et des inégalités due aux discriminations afin de mettre fin aux disparités, entre autres salariales, qui touchent notre société

Nous devons, mes chers compatriotes, regarder l’avenir à travers le même œil, celui du progrès et de l’égalité sociale.

Dans cette optique, des solutions rapides correspondant aux grands axes sociaux prioritaires doivent être mises en place afin de combattre les effets massifs de cette crise : le développement du chômage et de la précarité, la baisse du pouvoir d’achat, la restriction de possibilités déjà limitées d’ascension sociale, l’extension de la vulnérabilité et de l’exclusion.

Nous devons instaurer ensemble une politique active ancrée dans les institutions de notre modèle social qui promeut l’indemnisation des populations les plus touchés par la crise afin de garantir des minima sociaux permettant à chacun de vivre de manière décente.

J’ai l’ultime conviction que la situation d’exclusion que certains d’entre vous connaissent peut être combattue avec un programme plus humain, plus juste et plus novateur.

Nous devons aller vers l'adoption de législations concrètes combinant l'impératif de souplesse économique avec celui de protection des groupes vulnérables qui constituent les piliers de notre société pluraliste.

Vos préoccupations sont les miennes et mes priorités sont les vôtres. Mon programme est clair et par les simples mesures que je viens d’énoncer, je suis le plus apte à répondre à toutes les questions que vous vous posez ».

22 mai 2006

Zohra, echawefa

Madame Naziha, cocue, descendit difficilement de son coupé cabriolet et se dirigea vers le N°53, de la rue de l’Amiral R. Elle déchiffra l’inscription suivante :

Cabinet de Mme Zohra L.
Voyante

Zohra echawefa était un personnage sorti tout droit d’un épisode de X-Files.
Ses dons surnaturels lui permettaient de prédire votre avenir sur trois générations et dans les moindres détails jusqu’à la couleur du string de vos arrières petit enfants pour leur nuit de noces.

La visite débutait par un diagnostic sur votre situation passée, actuelle et future.
Vous n’aviez jamais à lui exposer pourquoi vous étiez là, elle le savait mieux que vous.
Ses rayons X lisaient en vous comme dans un livre ouvert dont elle maîtrisait parfaitement la langue.
Pire, elle sondait votre âme, elle mettait à nu vos vices cachés, toutes vos perversions les plus inavouables, tous ces maudits événements que vous aviez avec grand peine réussi à refouler, tous ces pêchés qui vous faisaient penser honteusement que vous tueriez la personne qui viendrait à les découvrir un jour.
Elle n’avait pas de honte à vous regarder dans le fond des yeux et à vous dire le plus simplement du monde : « arrête tes pratiques sado maso », « les partouses ne sont plus de ton âge », « la zoophilie te tuera ».
Quand vous entriez chez elle, vous laissiez aux vestiaires votre manteau tout autant que votre intimité, votre vie ne vous appartenait plus et au vu de son incommensurable réputation, le jeu avait l’air d’en valoir la chandelle.

Elle vous proposait parfois quelques remèdes miracle pour retrouver un amour perdu, conjurer le mauvais sort ou mettre fin à l’Envie et la Jalousie dont vous étiez sans nul doute victimes.
Car pour elle, tout le monde enviait tout le monde. Vous serez toujours le gentil poursuivi par les forces du mal qui n’en d’yeux que pour votre Renault super 5 cabossée et votre travail routinier d’employé de bureau dans une institution étatique.
Les rituels vaudous, les prières du Vatican, les incantations divines ne représentaient rien devant une recette magique concoctée par ses propres soins. C’était l’univers entier qui se plaçait dans la conjoncture qu’elle souhaitait. Elle était une divinité sur terre.

Zohra était unique en son genre, c’était ça sa force.
Elle ne lisait pas dans le marc d’un café turc que vous deviez boire cul sec.
Elle ne faisait pas des lignes et des courbes sinueuses de votre main une carte de votre vie.
Elle ne vous proposait pas une partie de cartes en affirmant que vous étiez ensorcelée à la vue d’une Dame de carreau.
Elle ne se perdait pas dans la contemplation d’une boule de cristal dans laquelle elle semble être la seule à voir quelque chose.
Elle ne liquéfiait pas, sous vos yeux écarquillés, un kilo de plomb et vous débitait des événements tous plus saugrenus les uns que les autres en regardant le plomb former des figures aléatoires.

Non ! Elle, c’était autre chose, bien au dessus de tous ces charlatans qui vous extirpaient votre argent.
Elle se contentait de vous regarder dans le blanc des yeux et vous narrait votre passé, votre présent et votre avenir avec une aisance déroutante.
Elle était la plus grande bibliothèque du monde et détenait la biographie de chacun, écrite par la main même de Dieu.

On racontait qu’elle avait amené au pouvoir bon nombre de dirigeants politiques.
Certains affirmaient qu’elle y était pour beaucoup dans la victoire écrasante de Chirac, un de ses plus fidèles clients, aux dernières élections. Jospin avait été envoûté, c’était évident.
Les visites officielles de présidents et autres princesses et Emirs se terminaient toujours par une entrevue discrète avec Zohra echawefa.
Elle était devenue un monument du patrimoine, une fierté nationale dont on vantait les mérites, et même, parfois, la raison officieuse de certaines visites.

Zohra avait à un moment ou un autre changé la voie de votre destinée. On lui devait forcément quelque chose : Certains lui devaient tout, d’autres lui devaient de n’être plus rien.


Madame Naziha, cocue et désespérée de surcroît, sonna.

07 mai 2006

Tout obtenir afin de pouvoir tout mépriser*



Diriger, gouverner, avoir du pouvoir sur les autres.
Sentir que l’on est suspendu à vos ordres, à l’affût d’un mot, un geste, un regard pour le transformer en action.

Dans un rêve utopique et par une matinée glorieuse, j’ai accédé à ce pouvoir.
J’ai mené une campagne sans merci, où ma démagogie n’avait d’égale que mon hypocrisie.
J’ai été un Dieu dont les adeptes buvaient goulûment les prophéties.
J’ai fait miroiter à la populasse un avenir aussi radieux qu’un matin de printemps.
Je leur ai susurré les paroles qui résonnaient depuis toujours dans leurs pensées chimériques.
J’ai fait couler dans leurs veines un sang plus rempli d’espoir que d’hémoglobine.
J’ai donné un goût à leurs vies insipides.

Dans ce même rêve, j’ai dit : « J’ai décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale ! », après le journal de 20h, alors que des millions de téléspectateurs étaient accrochés à leurs téléviseurs, attendant impatiemment mon discours.
J’ai également dit : « Qu’on le couvre d’or » en faisant ce geste de désinvolture impériale, et j’ai vu dans les yeux de cette personne, que j’ai daigné regarder, une reconnaissance infinie.
J’ai crié, du haut de ma monture: « Que tous les régiments soient prêts, nous attaquerons à l’aube ! », sous le regard angoissé mais déterminé de mon infanterie.

Je fus chronologiquement aimée, respectée, redoutée, et finalement haïe par un peuple dont chaque être n’avait constitué qu’une marche vers le trône.

Sans aucun scrupule, je n’ai tenu qu’une seule promesse de tous les mensonges que j’avais craché à leurs visages : celle de ne jamais les lâcher. Car j’étais là, et pour toujours.

Mon pouvoir était en place.

Stable, immuable, imperturbable…

J’y avais goûté, et je ne pouvais ni ne voulais m’en détacher.
Enivrée par ma gloire, je voulais faire de mon règne une latrie.
Plutôt mourir ou les faire tous mourir que me résigner à laisser ma place à autrui.
Me battre pour maintenir ma suprématie, c’est par instinct de survie que je le faisais.

A mon réveil, j’ai réfléchi.
J’ai manifestement l’âme d’un leader. Mais je suis de cette race de leaders qui représentent un vrai danger pour les libertés humaines.
Je serai animée par une motivation plus forte que veiller à la bonne marche de mon institution, celle d’exercer mon autorité, afin d’en tirer une autosatisfaction jouissive.

C’est ainsi.
Plus on en a, plus on en veut.
Plus on en veut, moins on peut s’en passer.
Plus on l’exerce, plus grande sera la domination… jusqu’à atteindre l’étouffement.
Étouffement d’une personne, étouffement d’un peuple.

Je suis bien mieux à ma place.
Me laisser accéder à un quelconque pouvoir causerait votre suicide, car je suis incontrôlable.


* citation de Maurice Barrès