08 juin 2010

De la critique du tunisien

Ces derniers temps, j’ai beaucoup lu cette idée reçue selon laquelle le tunisien aime créer des polémiques sur des sujets futiles, ou carrément sur des choses admises par le lieu commun et qui ne nécessiteraient à priori aucune remise en question (« tanbir »).

Je tiens à signifier mon désaccord avec ces propos que je trouve totalement méprisants envers les tunisiens. En disant cela, on ne se rend pas compte qu’au delà de la critique dénuée de fondements, ce genre de propos ne fait que perpétuer un état d’esprit d’hostilité envers ses concitoyens…

Je ne suis pas contre la critique, bien au contraire, je pars du principe que toute critique est constructive lorsqu’elle est étayée par des arguments rationnels, et je suis heureuse de constater que, malgré tout, certains continuent de bousculer les opinions dominantes. Car il n’est d’avancée que par la critique.

Il suffit de lire quelques médias pour se rendre compte que polémiquer n’est pas tunisien mais tout simplement humain, fort heureusement d’ailleurs. Il est inhérent à la nature humaine de remettre en question l’ordre établi des choses, aussi futiles puissent-elles être. Si l’on devait critiquer quelqu’un, les français sont loin devant nous.

Je suis révoltée contre cette étroitesse d’esprit, cette vision totalement réductrice du tunisien et du genre humain en général. J’ai espoir en chaque tunisien, j’aime mon pays et ses habitants et je ne penserai jamais que le tunisien est con, vicieux, rusé ou tout autre chose. S’il peut parfois être qualifié comme tel ce n’est que parce qu’un système l’empêche de s’exprimer et de s’épanouir. Mais au risque de me faire lyncher, je ne m’étendrai pas sur ce sujet.

Aussi naïf que cela puisse vous sembler, j’aime penser que je peux avoir confiance en mon prochain, qu’il ne me volera pas, ni ne me portera préjudice. J’aime penser que si je ne veux aucun mal à autrui, autrui me le rendra de la même façon. Et si, malheureusement, un tunisien me poignarde dans le dos, je ne mettrai jamais ça sur le dos de sa tunisianité. Il ne me viendrait aucunement à l’esprit de penser que c’est simplement son appartenance à ce pays qui l’a corrompu. Les tunisiens ne sont pas mauvais mais il y a de mauvais tunisiens. Ce n’est que comme ça que l’on pourra avancer ensemble. Et non en pensant à longueur de temps que de toute façon il ne sert à rien d’être civilisé si notre voisin ne l’est pas. Voilà pourquoi il me semble évident qu’il faut cesser de crier que les tunisiens sont, entre autres, des « nabbara ».

Mon message peut sembler idéaliste pour certains, totalement coupé de la réalité, pire, certains vont même penser que je dis ça car je ne côtoie pas quotidiennement les tunisiens. Oui, probablement… mais parfois c’est lorsque l’on voit les choses de haut que l’on peut juger de leur immensité. Je me permets d’avoir cet avis en vivant dans un pays où les pires qualificatifs peuvent vous venir à l’esprit en voyant comment certains se comportent envers les miséreux. Simplement, lorsqu’on vit en France, les catégories sont plus fines, On ne parle pas de français, mais de français d’origine, de français de droite, de français de Paris, de français aisé. Quand on veut blâmer quelqu’un ici, on peut le faire plus aisément car toute personne est totalement assimilable à une sous catégorie, que malheureusement, nous ne possédons pas dans notre pays. Mieux encore, les gens sont parfois tellement différents ici que l’on ne peut même pas les sous- catégoriser.

Ce que l’on semble oublier parfois, c’est qu’empêcher les gens de s’exprimer c’est encore plus s’enfoncer dans l’uniformisation de notre société, et je n’ai pas besoin de m’étendre sur les conséquences et les dégâts de l’uniformité ne serait-ce qu’artistiquement.

Assumons nos différences, mon Dieu comme la différence est enrichissante. Mais nous aimons tellement vivre en communauté, nous nous ajoutons sur Facebook car nous avons des amis en commun, nous nous suivons sur Twitter car nous sommes tous tunisiens. Et l’on oublie que tout cela ne fait que brasser les mêmes opinions. Nous courrons vers une société intellectuellement consanguine. Et plus des idées deviennent dominantes et plus il devient difficile de penser différemment. Voilà comment l’extrémisme s’implante dans une société.

Quand un tunisien vivant en France critique le travail d’un autre tunisien, on dit que les français ont déteint sur lui. Oui, ils ont déteints sur moi et heureusement, car aujourd’hui je suis fière d’être différente de ce que j’étais il ya trois ans. Il y a trois ans j’étais xénophobe, aujourd’hui je me retrouve beaucoup plus dans la manière de penser des étrangers. Il ya trois ans, je ne pouvais imaginer de trouver un noir beau, aujourd’hui, j’ai élargi mes critères de beauté.

Je rêve de voir un type se balader dans les rues de Tunis, portant un pantacourt rose fluo sans que personne ne le regarde de travers. Je rêve de voir des looks, des affirmations d’identités et non un format en kit du tunisien moyen. Je rêve de voir des personnes parler de leurs goûts « différents » sans que des messages de haine leur soient proférés.

J’en rêve tellement que c’est devenu quasiment réactionnaire pour moi d’assumer et de dire haut et fort ce que je pense. Et tous les jours, j’apprends des autres, je me corrige et j’élargis mon esprit à d’autres opinions, puissent-elles ébranler mon monde.