29 avril 2006

Publicis

J’en ai marre de voir les mêmes publicités sur les mêmes produits !
Des pubs sur des yaourts qui contiennent des bactéries améliorant le transit intestinal, mais qui n’ont toujours pas mis fin à votre dépendance au Microlax.
Des pubs sur des lessives qui montrent des gosses en train de se tortiller dans la boue et leurs mères exhibant un sourire niais, tandis que, bizarrement, la vôtre, vous fout un baffe qui vous retourne trois fois les yeux dans leur orbite quand vous lui ramenez votre survet’ crados après un match de foot.
Des pubs sur des boissons tellement gazeuses qu’elles vous transforment en ballon de baudruche ou en montgolfière, et qu’au moindre rototo vous risquez la syncope.

Moi ce que je veux, c’est des pubs pour des produits miracles, des produits qui nous changeraient la vie ! Le genre de produits, comment vous expliquer… tu vois la pub, tu sors à minuit de chez toi chercher un magasin ouvert pour l’acheter. Ça ne peut pas attendre le lendemain ! Tu ne pourras pas trouver le sommeil si tu ne t’endors pas ce soir là en le regardant sur ta table de chevet, ou, pour les plus passionnés, en le serrant bien fort.
C’est le produit que t’as attendu toute ta vie, t’as l’impression d’avoir vécu rien que pour ça et tu te sens fier d’appartenir au siècle qui a vu son invention !

Je rêve de voir un jour ce genre de publicités :

Votre passé vous hante ? Vous avez trop de souvenirs refoulés et des pensées obscures ?
MASTERESET est LE produit qu’il vous faut !
Premier lobotomiseur à usage domestique, il vous fera voir à nouveau la vie en rose.
Chassez vos souvenirs, redémarrez à zéro et revendiquez votre mémoire de poisson rouge.

Un patron qui vous tape sur les nerfs* ? Faites appel à un professionnel.
Né de la toute dernière génération de tueurs à gages, voici KILLBOSS, un robot conçu pour une seule mission, celle d’éradiquer votre patron.
Une fois la cible éliminée, il s’autodétruit automatiquement et ne laisse aucune trace pouvant vous impliquer dans le crime.
* En vente sur présentation d’une vidéo justificative et après acceptation de votre dossier.

Jeune drogué, tu as tout essayé, tu es fatigué mais tu as toujours envie d’ailleurs ? Ceci est pour toi !
Voici TRIPDIFFERENT, les premières gélules conçues à partir de champignons hallucinogènes génétiquement modifiés.
Les gélules sont classées par thème (visite culturelle cosmique, voyage psychédélique autour de ta chaise, buddha experience, danse karmique, extase sur les mains…) et par destination (Iles Hawaï, Never–land, Inde, Shangaï sud-est…).
Fais ton trip sur commande et sans effets secondaires ou indésirables.
(Attention ! Une consommation abusive entraîne des flatulences)

Vos couilles vous grattent trop souvent et vous avez honte de vous toucher en public ?
Les enfants se moquent de vos grattage intempestifs en vous jetant des cailloux ?
Les gens vos traitent de pervers ?
Voici en exclusivité le premier caleçon* comprenant un système de grattage incorporé.
Des microdoigts assurent le grattage permanent de vos couilles, vous procurant ainsi une agréable sensation de quiétude et de jouissance.
Possibilité de programmes : grattage doux, grattage intensif, spécial morpions…
*Existe aussi en slip et en string fil de pêche.

Obtenez votre diplôme avec de simples injections. Les laboratoires jmelacouledouce viennent de mettre au point des injections qui vous permettront d’acquérir tout le bagage culturel et le Savoir dont vous avez besoin.
Les injections peuvent être prescrites dans le cadre de la préparation d’un diplôme particulier ou pour maîtriser tout domaine de la Connaissance et du Savoir.
Vous n’aurez aucun mal à identifier ce que vous recherchez !
Les résultats sont prouvés scientifiquement*.
* test réalisé sur un échantillon représentatif d’attardés mentaux.
NB : pour les blondes, les doses doivent être triplées.

Du nouveau dans le domaine des énergies renouvelables.
ENERSHIT est un appareil ultra sophistiqué et révolutionnaire à brancher sur la cuvette de vos toilettes. Il recycle vos matières fécales en énergie et assure ainsi vos besoins en électricité et en chaleur à longueur de temps.
Plus vous chiez, plus vous économisez !

En attendant, continuons à nous abrutir devant des produits qui transforment le luxe en besoin et à sauter de joie à la sortie d’un nouveau yaourt aux fruits mixés ou d’une barre chocolatée fourrée au caramel.

20 avril 2006

Un Bonheur à l'Imparfait

Depuis quelques temps, Madame Naziha vit un véritable bouleversement. Sa forme est au plus bas, sa tête bouillonne, et avouez qu’un chaos psychologique pour une femme qui ne possède que deux neurones, c’est terriblement dur à gérer.

Rassurez-vous, elle est toujours riche. Enfin, son mari est toujours riche.
Entre autres choses, les biens immobiliers que possède son mari, les feraient vivre en rentiers sur cinq générations si ses entreprises venaient à faire faillite. Et connaissant l’empire économique de son mari, qui dépasse de loin le PIB du Bengladesh, la faillite résulterait d’une cascade de bouleversements digne d’un Big Bang. Il n’est donc pas et ne sera, sans nul doute, jamais question de problèmes financiers avec Madame Naziha.

Mais Madame Naziha, plus que quiconque, vous dira, avec ce ton narquois mais non moins convaincu, que « l’argent ne fait pas le bonheur ». Il est, certes, plus facile d’ériger ces expressions préconstruites quand on croule sous les milliards. Un clochard en haillons ne vous dira jamais que « l’habit ne fait pas le moine », de même qu’on ne verra jamais un moine se balader en short et en tong à l’église.

Mais quels peuvent être les soucis d’une femme dont le destin pourrait constituer un conte fabuleux des frères Grimm ou dont la vie ferait un excellent scénario de téléfilm de 13h30 sur M6?
Madame Naziha doute. Madame Naziha suspecte. Madame Naziha affabule.

Il rentre tard. Ses portables sont éteints. Il a une odeur inhabituelle. Il porte son meilleur costume. Il se rase et change de caleçon tous les jours. Il a acheté un nouveau parfum. Il semble rajeunir de jour en jour.
Il ? Si Lamine, son mari.

Oui, de premier abord, ça paraît tellement saugrenu comme hypothèse. Comment un thon comme lui peut-il séduire une femme, si laide Soit-elle ?
Mais Naziha se rappelle bien que, plus jeune, elle avait fait de cet homme son mari bien qu’elle le trouvait répugnant. Elle se souvient aussi qu’à l’époque, il y avait un mariage à la clé. Ce n’était plus le cas…
Et puis, l’âge et l’argent avaient fait don à Si Lamine d’un charme introuvable chez lui jusqu’à présent. Aussi surprenant que ça puisse sembler, il passait dorénavant parfaitement bien en société. Une fois, à la sortie d’une pièce de théâtre, Madame Naziha avait même surpris des regards que lui avaient lancé un groupe de femmes esseulées.
Certes, ces regards étaient furtifs, mais pour elle, ils étaient notables au vu de l’indifférence qui se lisait d’habitude sur le visage des gens lorsque son mari passait devant eux. En temps normal, il suffisait de voir une fois Si Lamine pour l’oublier à tout jamais. Mais là, visiblement, la roue tournait, et pas dans le sens de notre pauvre Naziha…

A 62 ans, il était au paroxysme de sa libido. Guidé par ses pulsions sexuelles, par sa recherche quasi instinctive du plaisir, Si Lamine embellissait. Ses cheveux dont il assumait parfaitement la blancheur, les rides qui lui sillonnaient le visage, son ventre qui écartait les boutons de sa chemise pour se laisser découvrir, c’est chaque infime partie de son corps qui vous appelait à lui. Et ça, Madame Naziha ne pouvait pas le contrôler, elle se contentait d’en faire la triste constatation.

Désormais, Madame Naziha n’avait plus que sa bouée de graisse pour l’empêcher de se noyer dans son chagrin. Elle la regardait avec regret. Ses amies lui avaient à maintes fois conseillée de sauter le pas et de subir cette fameuse intervention de liposuccion, mais il lui semblait évident qu’il l’aime et l’aimerait toujours malgré ses kilos. « Le lifting attendra » se contentait-elle de répondre d’un air condescendant. Le Temps ne vous attend pas Madame Naziha, il vous rattrape, vous dépasse et vous nargue. Et qui plus est dans votre cas, le Temps a dû bien rire de vous.

Elle ne pouvait en vouloir à Si Lamine. C’est, du moins, ce qu’elle pensait.
En fin de compte, elle se disait qu’elle l’avait bien cherché. A vouloir se réaliser à travers ses tableaux, elle avait fini par écarter son mari. Elle pensait se démarquer de lui, elle l’avait éloigné de son corps, qui n’exerçait déjà pas une grande attraction. Attraction désastre, en l’occurrence…
Les hommes sont faibles, les femmes sont démoniaques et elle était de moins en moins attirante : toute cette conjoncture expliquait parfaitement bien la situation.

Que ne donnerait-elle pas maintenant pour se confondre à nouveau à cette image de potiche dont elle voulait se défaire à tout prix. Mais Si Lamine ne l’emmenait plus nulle part. Elle le suppliait. Il se contentait de répondre hâtivement : « C’est un dîner professionnel ». Il lui servait le mot « professionnel » à toutes les sauces, c’était devenu son exutoire, son alibi face à toutes les présomptions qu’elle émettait.

Et elle l’avait déjà condamné sur ces simples présomptions.

(A suivre…)

09 avril 2006

Le bain de H'lima



H’lima ne rate jamais son Hammam du dimanche. Plus qu’une habitude, c’est un rituel.
Elle s’habille d’une nudité impudique et entame sa course à la propreté.
Dans cet espace, il n’y a plus de place à la féminité. Elle, de nature si douce, si fine se mue en un prédateur féroce qui traque sans merci les seaux d’eau chaude.
Celle qui a le malheur de s’aventurer à lui prendre son seau, aura droit à un regard plus perçant qu’un faisceau laser et à un rugissement dissuasif.
Les femmes sont des dockers qui transportent leurs seaux avec détermination.

Le parcours de H’lima est tracé comme un circuit de Formule 1.
Elle commence par la chambre chaude, cette salle magique qui a le pouvoir de transformer un être humain en pruneau desséché.
La chambre chaude, c’est encore mieux qu’un cachet d’ecstasy, c’est encore plus fort qu’un champignon hallucinogène, c’est encore plus doux qu’une herbe de Colombie.
Ça transformerait Hitler en Bob Marley, Sharon en Doc Gyneco.
Elle sue, étouffe, se vide de toute son eau et s’abandonne à une douce asthénie.
A ses côtés, d’autres femmes se laissent, également, entraîner par la chaleur enivrante de la vapeur.

Après plus de 40 minutes, elle se traîne vers la salle intermédiaire.
Là, tous les vices sont permis, on voit ce qu’on ne devrait pas voir et on entre de façon abrupte dans l’intimité d’autrui, dans tout ce qu’elle comporte de plus répugnant.
Les ménagères sans complexes exhibent leurs corps difformes et leurs pilosités envahissantes dans une nudité obscène.
Un groupe, en particulier, attire son attention. Quatre femmes nues comme des vers, affalées sur le marbre humide, les bras ornés de bagues et de bracelets en or jaune canari. Elles habillent cette vision malsaine de propos matérialistes et terre-à-terre, piaillent et lapident leurs connaissances communes en ponctuant leurs attaques de « la pauvre », « elle est si jeune », « elle était belle pourtant » et autres expressions qui leur donnent bonne conscience.
H’lima ne peut s’empêcher de regarder ces femmes avec dégoût. Un troupeau de Naziha venu se repaître à un point d’eau.

H’lima va alors vivre le moment crucial de toute cette expérience fantasmagorique : le frottement au gant de crin. Rares sont celles qui veulent le pratiquer seules. Toute l’ampleur de cet acte prend effet lorsqu’il est accompli par les gourous du hammam, ces camionneurs à la langue fourchue et à la gestuelle expressive incarnées dans un corps de femme. Elles se disputent les clientes comme deux prostituées sur le même trottoir.
H’lima se laisse manipuler et pétrir par cette femme qui l’exorcise de sa saleté.

Les Naziha en font de même. Mais leurs masseuses les traitent avec plus de délicatesse. On ne manie pas de la même manière le plastique et la porcelaine fusse t’elle épaisse et fine comme du béton.
Obscure pathologie sortie tout droit des enfers, après s'être abondamment et frénétiquement laissées frotter avec ce gant de crin, disponible dans tous les sex shop comme accessoire sado maso (rayon "trash"), elles regardent s'amasser les petits vers grisâtres que forment leur saleté en jouissant de cette vision. Leur crasse, c'est de la crasse "riche", elles en ont bavé pour l'obtenir...
H’lima regarde l’eau dévaler les courbes sinueuses de leur graisse et se charger de leurs vers grisâtres comme une source qui s’enrichit en minéraux en parcourant une montagne rocheuse.
Les crasses des ces femmes se mêlent à la sienne et s’évacuent en file indienne dans un ruissellement d’eau de lavage marron, de shampoings et de pelotes de chevelure crépue.

Comme revêtie d’une seconde peau, H’lima renaît.
Dans la dernière chambre, un semblant d’humanité commence à se faire ressentir.
Epanouies, exténuées par leur épopée, les femmes s’y reposent.

Elles rigolent, se disent des gentillesses, et sirotent joyeusement leurs Boga cidre ou leurs Fanta tout en cachant leurs tares dans des vêtements qui créent l’illusion de leur beauté et les replacent dans leur contexte social. Les seins pendants jusqu’au ventre de l’une, la cellulite capitonnée de l’autre ne sont plus qu’un souvenir… Les Naziha et les H’lima retournent chacune dans son monde.

Il n'y a que la crasse que les Naziha acceptent de partager...

03 avril 2006

Station Innocence, Terminus



Cela va faire bientôt 30 minutes qu’elle attend…
Comme à chaque jour, après avoir fini ses cours, elle parcourt les 500 mètres qui séparent son lycée de l’arrêt du bus. Là, elle attend… elle attend… elle attend…

Elle attend ce bus qui, une fois sur deux, ne s’arrêtera pas à la station. Ce bus bondé, qui contient parfois le triple de ce qu’il devrait contenir, qui penche dangereusement vers la gauche et dont des têtes dépassent des fenêtres et des portes comme du bétail en route vers l’abattoir.
Si elle a de la chance, il ne sera pas trop rempli aujourd’hui. Et elle pourra espérer être chez elle dans une heure.

Il arrive enfin… ça se précipite vers la porte. Et elle, toute menue, se fait écraser par une masse animée par le même but : monter à tout prix. Mais a-t-elle le droit de les blâmer ? Elle est comme eux, avec eux ?...

A l’intérieur, une chaleur étouffante, une atmosphère asphyxiante et une odeur nauséabonde de cigarettes bon marché imprégnée dans les vêtements, mélangée à un cocktail explosif d’odeurs corporelles.

Elle s’est habituée, ou du moins essaie… Elle avance, entraînée par le mouvement lent et irrégulier de la masse.

Des têtes de tous genres… la plupart, des ouvriers rentrant des chantiers, des maçons, des vieux aigris et d’autres échantillons de l’espèce humaine.

Elle continue d’avancer… et soudain elle ressent un contact étrange.
On lui colle de trop près. Elle bouge, mais ça se remet inéluctablement en place…
Elle se retourne.
Un homme d’une trentaine d’année. Il lui lance un regard d’une perversité à vous glacer le sang. C’est tout ce qu’elle verra de lui.

Il se rapproche encore et encore… elle sent sa main qui lui caresse les fesses et traverse son intimité, elle sent son organe qui se durcit à son contact.
Et elle ne peut dire un mot. Elle se tait. Elle a peur et ne sait comment réagir.
Elle est jeune, innocente. Elle l’était… Dorénavant, elle le sera moins.
Elle s’imagine se retournant et lui donnant une baffe. Non, elle ne peut pas ! Elle n’ose pas… Elle se tait et subit…
Son mutisme est un consentement pour son « violeur ». Il continue impunément à se livrer à ses petits plaisirs obscènes.

La file n’avance pas.

Indifférents, ils sont tous complices à ses yeux. Leur statisme a la délicatesse de se maquiller en impuissance. Personne ne voit, ne la voit. Tout ce petit monde est soudain frappé de cécité…

L’attente lui semble interminable.

Ca bouge enfin… elle se libère de se corps qui s’était imbriqué en elle.
Elle descend, les larmes aux yeux.
Elle a honte… et elle n’en parlera pas.
Elle le reverra, presque chaque jour, dans ce même bus. Il ne la reconnaîtra pas mais elle, elle n’oubliera jamais ce visage impassible et ce regard de vicelard.
Lui, se trouvera encore d’autres victimes et aura encore quatre érections avant d’arriver chez lui.
Le scénario se perpétuera…

Du bus de l'innocence, tout le monde finit par descendre un jour. L'arrêt est juste arrivé un peu plus vite que prévu pour elle…